Le cinéaste Jean-Luc Godard est mort le 13 septembre 2022. Il avait publié sept livres aux éditions P.O.L, dont six livres de « phrases » qui proviennent de ses six films éponymes : JLG/JLG, autoportrait de décembre (1996), For Ever Mozart (1996), Allemagne neuf zéro (1998), 2 x 50 ans de cinéma français avec Anne- Marie Miéville (1998), Les enfants jouent à la Russie (1998), et Éloge de l'amour (2001).
Ce volume exceptionnel reprend en format poche l'intégralité de ces six livres construits avec ce qui se dit, se pense dans ces films. C'est le « découpage dialogué » de chaque film : succession de phrases, d'aphorismes, sentences, histoires brèves, citations, qui font littéralement lever les images, les bruits, la musique des films, et en font résonner la parole heurtée. Pour Godard, phraser, c'était jouer en mettant en évidence - par des respirations - le développement d'une ligne mélodique. « Ce sont des sons et des phrases, qui correspondent à un type de diction, le mien », expliquait-il.
« Le montage de citations, d'aphorismes godardiens et d'incidentes extraites du déroulement des films font de JLG/JLG et For Ever Mozart, les livres, des oeuvres à part entière, distinctes des films qui leur ont donné naissance. [...] Chacun y trouvera ou retrouvera, au détour d'une colonne, quelques très indispensables détonateurs de la pensée - ne serait-ce que, dans JLG/JLG, l'admirable réflexion sur l'Europe, la culture et l'art. ».
Le Monde, 6 décembre 1996
Plusieurs destins s'entrelacent dans ce nouveau récit de Nathalie Léger. Ils se nouent autour d'un film, Wanda, réalisé en 1970 par Barbara Loden, un film admiré par Marguerite Duras, une oeuvre majeure du cinéma d'avant-garde américain. Il s'agit du seul film de Barbara Loden. Elle écrit, réalise et interprète le rôle de Wanda à partir d'un fait divers : l'errance désastreuse d'une jeune femme embarquée dans un hold up, et qui remercie le juge de sa condamnation. Barbara Loden est Wanda, comme on dit au cinéma. Son souvenir accompagne la narratrice dans une recherche qui interroge tout autant l'énigme d'une déambulation solitaire que le pouvoir (ou l'impuissance) de l'écriture romanesque à conduire cette enquête.
Il y a d'abord l'errance de cette femme, Wanda, apparemment sans attaches et sans désirs ; il y a ensuite la recherche de Barbara Loden, une actrice rare, une cinéaste inspirée, une femme secrètement blessée, et qui cherche la vérité de son existence à travers un fait divers ; il y a enfin l'enquête de la narratrice. Trois destins entremêlés pour une même recherche sans objet, une même façon d'esquiver ou d'affronter la réalité. Wanda/Barbara : qu'est-ce que l'une cherche à travers l'autre, et qu'est-ce que la narratrice cherche à travers elles ?
Barbara Loden est née en 1932, six ans après Marilyn Monroe, la même année qu'Elizabeth Taylor, Delphine Seyrig et Anouk Aimée. Elle a trente-huit ans lorsqu'elle réalise et interprète Wanda en 1970. Elle est la seconde femme d'Elia Kazan. Elle a joué dans Le Fleuve sauvage et dans La Fièvre dans le sang. Elle devait jouer dans The Swimmer avec Burt Lancaster, mais ce fut Janet Landgare qui eut le rôle ; elle devait jouer dans L'Arrangement avec Kirk Douglas, mais ce fut Faye Dunaway qui eut le rôle. Elle est morte jeune, à quarante-huit ans. Wanda est son premier et son dernier film. Quoi d'autre ? Comment la décrire, comment décrire un corps et une présence inconnus ? La narratrice lit des témoignages, regarde des images, décrit le film, tente de s'approprier un visage, de découvrir ! un corps sous un autre, elle cherche à reconstituer les bribes d'une vie pour la tirer un instant de l'oubli, et revenir sur sa propre amnésie.
Le chemin vers la lanterne magique, tu l'apprendras en commençant par les aventures de la pellicule dans un laboratoire de cinéma qui transforme les négatifs en positifs tout comme un rêveur de films transmute ses idées en plans. Passant de la songeuse adolescence à cette concrétisation, tu voyages ébloui à travers une autre couche sociale qui ouvre les yeux du petit mâle que tu risquais de rester sans cet apprentissage, autant sur le métier que sur le précieux contact avec les Cariatides. Vers la fin du chemin, quand tout part en eau de boudin, c'est le souvenir de ces métamorphoses qui te tiendra debout jusqu'au bout.
Marguerite Duras ne fut pas uniquement l'écrivain que l'on sait mais aussi une cinéaste audacieuse dont les films appartiennent au corps tout entier de son oeuvre. Cet ouvrage rassemble pour la première fois les écrits de Marguerite Duras concernant ses propres films (dix-neuf, réalisés de 1966 à 1985), son activité de cinéaste, ainsi que les entretiens les plus significatifs qu'elle a pu donner à ce propos. Jamais un tel recueil n'avait été entrepris, même pour India Song, son film le plus célèbre. Depuis La Musica (1966) jusqu'aux Enfants (1985), en passant par Détruire dit-elle, Le Camion, Le Navire Night, le livre est organisé par films dont Duras signe la réalisation (excluant les adaptations de ses livres et les films qu'elle a scénarisés comme Hiroshima mon amour).
Pour chaque film, sont reproduits la plupart des textes qu'elle a rédigés dans le but de présenter et d'expliquer son travail au public, aux critiques, parfois aux acteurs eux-mêmes. Il lui arrive ainsi de raconter son film et son travail. On retrouve la parole vive et évocatrice de Duras, qui projette le lecteur dans son univers filmique radical et épuré, rejouant les liens dans son oeuvre entre littérature et cinéma. Duras parle de sa démarche, de ses principes d'écriture cinématographique, et surtout du paradoxe d'un cinéma qui cherche « à détruire le cinéma ». On assiste à sa tentative de dire le dépassement du cinéma, sa négation, comme celle du politique. Mais au-delà, ces textes parlent à chacun de l'existence, du monde, de l'écriture. Ici encore il s'agit de détruire, renverser, mais aussi d'aimer, d'oser. D'où l'intérêt de donner à lire ces écrits et entretiens comme des textes d'auteur à part entière.
De nombreux textes sont inédits, d'autres demeuraient très difficiles d'accès. Certains ont fait l'objet de publication dans des dossiers de presse, des journaux, et des revues spécialisées au moment de la sortie des films. Quelques-uns ont été réédités dans des ouvrages collectifs.
Rabalaïre, en occitan, désigne une personne seule qui n'est jamais chez elle, « un mec qui va à droite, à gauche, un homme qui aime bien aller chez les gens ». Ici, le rabalaïre, c'est Jacques, chômeur, passionné de vélo, solitaire mais d'une humanité à toute épreuve, et qui, entre Clermont-Ferrand, les monts d'Auvergne et l'Aveyron, va connaître, plus ou moins malgré lui, toute une série d'aventures rocambolesques, mystérieuses, voire criminelles. Il aime Robert qui vit avec ses vieux parents. Il va faire la rencontre de personnages étonnants : un vieux berger qui ne parle qu'occitan et distille la Brigoule, une gnôle aux pouvoirs surpuissants qui sera l'objet d'un trafic dans la région, un curé pas toujours orthodoxe, un peu chaman, qui initie Jacques aux voyages dans le pays des morts, Ysaline, une jeune prostituée dont Jacques tombe amoureux, un « Collectif d'action citoyenne », des terroristes islamistes et des attentats à Clermont-Ferrand sur fond de racisme et de suspicion généralisée, Rosine, propriétaire de bar à Gogueluz, veuve et débordante d'affection malgré la jalousie de son fils Eric, et de très nombreux amants. Ses divagations à vélo, sur le col de l'Homme mort, en forêt, ou sous les effets de la drogue, de l'excitation sexuelle, conduisent Jacques à des situations ambigües, parfois extrêmes. Grand roman picaresque, cru et sexuel, mais aussi roman d'amour, roman politique et social, roman de terroir et de la nature, roman populaire, roman policier (plusieurs crimes sont commis), et parfois fantastique. C'est l'histoire revisitée, drôle et cruelle, d'une France oubliée, celle d'aujourd'hui, de la paupérisation des campagnes et des provinces, l'histoire des gens de pays, de leurs corps, de leur langue, l'histoire des déclassés et marginaux, des étrangers, d'une nation à l'abandon, d'un peuple très divers aux moeurs débridées et décomplexées, et aux croyances multiples parfois mystiques. Le tout dans une langue populaire, orale, puissante et joyeuse.
Après 30 ans d'existence et 120 numéros, la revue de cinéma Trafic change et devient une parution annuelle : Trafic L'Almanach. Un important volume collectif qui reste attaché à la vocation critique que Serge Daney avait fixée : « Revue de cinéma, elle appartient à tous ceux pour qui l'image et l'écrit, quoiqu'irréconciliables, ont un destin commun. » Avec une équipe renouvelée de collaborateurs.
Un sommaire 2023 ambitieux : compte-rendu critique et développé du Festival de Cannes 2022, quatre textes inédits de Serge Daney ; une lettre inédite de Jacques Rivette à François Truffaut ;
Un ensemble consacré au grand cinéaste roumain Radu Jude ; les contributions de la philosophe Catherine Malabou, de Peter Szendy ; des textes sur le cinéma de Clint Eastwood, Izoguchi, John Huston, Léo Carax...
Plus de 300 pages consacrées à l'actualité et à la critique des images.
Harun Farocki, né en 1944 à Neutitschein (aujourd'hui Noviý Jicin en République tchèque), a réalisé des films et des oeuvres audiovisuelles depuis la fin des années 60 et des installations depuis 1995 (soit plus d'une centaine d'oeuvres). De 1962 jusqu'à sa mort en 2014, il a vécu à Berlin, comme cinéaste, essayiste, enseignant et artiste.
Dans la joie du voyage, le plaisir du flash-back et des remontées en surface, Yann Dedet, monteur, revient ici sur cinquante ans de carrière et une bonne centaine de films. Avec un sens unique du détail, mais attentif aux grandes lignes, il se rappelle ses collaborations au long cours avec Truffaut, Stévenin, Pialat, Garrel, Poirier et tous les autres. Pourquoi n'avoir jamais monté plus d'un film avec la même réalisatrice? Comment oublier le scénario et regarder le film en fac? Qu'est-ce qui fait du monteur un psychanalyste d'occasion, un amant passager et un philosophe platonicien? Et quel étrange syndrome pousse les cinéastes à lui demander des plans qu'ils n'ont pas tournés? Dans cette seconde chambre obscure, le gardien ultime de la mémoire parvient-il toujours à retrouver le rêve du film?
Alexander Kluge est relativement connu, en France, pour sa filmographie, abondante et variée, qui a d'ailleurs fait l'objet d'une large rétrospective à la Cinématèque Française en 2013. L'écrivain est en revanche ici pratiquement ignoré, sinon des germanistes, alors qu'il est une des figures les plus célèbres de la littérature allemande contemporaine et salué comme tel par les médias allemands, le public, l'édition.
Son originalité réside dans une manière de parler de la réalité contemporaine allemande en s'appuyant aussi bien sur son immense culture classique que sur un maniement très original de la fiction, à travers, le plus souvent, de brèves séquences qui sont autant d'apologues dont la juxtaposition et l'accumulation finissent par composer une véritable fresque de l'histoire de son pays et, au-delà, de celle de la pensée et de la sensibilité occidentales.
Cette écriture, cette démarche si originales sont actuellement absentes du paysage littéraire français, c'est la raison pour laquelle une traduction de l'ensemble de cette gigantesque entreprise qu'est « Chronique des sentiments » nous a paru indispensable.
Les sentiments sont les véritables occupants des vies humaines. On peut dire d'eux ce que l'on a dit des Celtes (nos ancêtres, pour la plupart d'entre nous) : ils sont partout, seulement on ne les voit pas. Les sentiments font vivre (et forment) les institutions, ils sont impliqués dans les lois contraignantes, les hasards heureux, se manifestent à nos horizons, pour s'élever au-delà vers les galaxies. On les trouve dans tout ce qui nous concerne.
Ce dont les hommes ont besoin au cours de leurs vies, c'est de l'ORIENTATION. Comme il en faut aux bateaux. Telle est la fonction d'un si gros livre : que l'on compare, se sente rebuté ou attiré, dans la mesure vu qu'un livre fonctionne comme un miroir.
Nul ne lira autant de pages d'un seul coup. Chacun se contentera d'aller vérifier, comme dans un calendrier ou, précisément, une CHRONIQUE, ce qui le regarde. L'orientation subjective - savoir à quoi me fier, ce que je dois craindre, à quoi tiennent les actes délibérés - donnent ce courant de fond, que le temps qui court ne suffit pas à transformer et qui constitue la vraie chronique.
Gilles. un homme jeune. découvre son attirance. son amour en fait, pour un vieillard de quatre-vingt-dix-huit ans, Pépé. Et d'ailleurs Pépé n'est pas insensible aux marques d'attention de Gilles. Cela choque autour d'eux, notamment le chef des gendarmes lui-même attiré par Gilles et qui va user et abuser du pouvoir que lui donne son uniforme. Cela choque aussi beaucoup Mariette, la fille de Pépé qui n'admet pas que son père soit intrigué et en fait attiré par ces bizarres relations homosexuelles. Enfin cela trouble Cindy, adolescente perturbée, l'arrière petite-fille qui voudrait séduire Gilles.Ainsi résumé, le premier roman d'Alain Guiraudie,le génial réalisateur de L'Inconnu du lac, Le Roi de l'évasion, etc. ne rend que très peu compte de l'originalité et de la force du livre, même si l'on voit bien que cela ne ressemble pas tout à fait à ce qu'on lit d'habitude.
D'abord, la crudité de scènes qui mêlent violence et sensualité au-delà de tous les tabous jusqu'aux conséquences les plus extrêmes, il semble par moments qu'on ait jamais été si loin, a de quoi sidérer le lecteur le plus endurci. Ensuite l'écriture extrêmement cohérente et tenue joue ici d'un Il 11111 Il Il 9 7828 1309 1111111 (,"III'tllldlt Ici commence la nuit registre périlleux, rarement exploité avec un tel bonheur : celui d'une immédiateté, d'une familiarité d'une langue populaire (pas une négation de tout le livre, par exemple) instantanément entendue comme telle et comme vraisemblable. C'est formellement impressionnant. Ce n'est pas seulement parce que l'on sait que l'action se déroule dans le Sud-Ouest mais cette écriture a l'accent ... d'ailleurs beaucoup de dialogues entre Gilles et Pépé, dialogues qui montrent leur intime connivence, sur ce plan-là aussi contestée par leurs proches, sont écrits en occitan (bien entendu traduit en bas de page).
Et, comme dans les films de Guiraudie, il ya un étrange mélange entre une forme de jovialité, de verve amusante et chaleureuse et les pulsions les plus sombres. Ici commence la nuit, lorsque les passions ne trouvent plus à s'exprimer que dans le meurtre.
Ce coffret contient les deux films documentaires et autobiographiques réalisés par Paul Otchakovsky-Laurens.Dans son premier film Sablé-sur-Sarthe, Sarthe, Paul Otchakovsky-Laurens raconte son enfance dans cette petite ville. On lui a imposé le silence. Il partage son secret.Avec notamment Marie Chaix, Anne Devauchelle et Jean-Paul Hirsch. Images : Emmelene Landon.Éditeur, le deuxième film de Paul Otchakovsky-Laurens, met en scène les raisons singulières pour lesquelles il exerce son métier. Sa vérité.Avec Jocelyne Desverchère et Antony Moreau, et la participation notamment d'Emmanuelle Bayamack-Tam, Olivier Cadiot, Antonie Delebecque, Paul Fournel, Kiko Herrero, Jean-Paul Hirsch, Vibeke Madsen, Michel Manière, Serge Ramon, Julie Wolkenstein.
Serge daney, en bon journaliste, écrivait au jour le jour et dans l'urgence.
Le brio de ses critiques dans les colonnes des cahiers du cinéma, de libération ou de trafic, la violence de ses interventions, alliée à un sens exacerbé de l'actualité, ont trop souvent dissimulé aux yeux de ses lecteurs les plus attentifs le fil rouge de ses partis pris, cette basse plus continue de sa cinéphilie oú la permanence de ses goûts l'a généralement protégé de l'impermanence de ses doutes, bref quelque chose comme l'invariance de sa pensée derrière les variations de ses idées.
Le montage de ses textes induit par la forme même du livre (cet " editing " commun en anglais au cinéma et à l'édition, d'oú surgit l'étincelle du sens) permet d'en dégager les lignes de forces plus secrètes pour en laisser apparaître les soubassements profonds, éthiques, on le sait, plus encore qu'esthétiques. ce premier volume consacré essentiellement au temps des cahiers, de 1962 à 1981, raconte les années d'apprentissage de serge daney, sa découverte conjointe du cinéma et du monde, son engagement résolument politique, la fascination naissante des médias, en rassemblant enfin la plupart de ses articles, souvent rares ou inaccessibles, parfois inédits, toujours décisifs dans l'élaboration de sa réflexion.
" oui, il y eut la vie avant le cinéma " m'écrivit un jour jonas mekas.
et quelle vie ! que d'errances accumulées entre le moment oú, sous la menace d'une arrestation par les nazis, il doit quitter la lituanie avec son frère adolfas et celui oú, après dix ans d'exil, il s'habitue à l'idée de n'y plus revenir. départ pour vienne et détournement sur un camp de travail forcé près de hambourg. fuite manquée vers le danemark et folle traversée de l'allemagne dévastée par la guerre.
divers camps encore de personnes déplacées, à flensburg, wiesbaden ou mattenberg, avant de pouvoir s'embarquer à destination de new york. il connaît alors la solitude des quartiers pauvres de brooklyn, cherche du travail jusqu'en usine, mais découvre aussi l'amitié de la communauté immigrée, fait ses premiers pas de cinéma, lance la revue film culture. cette odyssée oú la personne déplacée incarne à son corps défendant la figure tragiquement moderne d'ulysse, mekas la raconte simplement, à mots comptés et bouleversants, dans je n'avais nulle part oú aller, le journal écrit qu'il a tenu de juillet 1944 à août 1955.
on y découvre un cinéaste d'abord écrivain, mais dont l'écriture pointilliste et épiphanique n'a déjà pas son pareil pour rendre cinématographiquement, comme à travers l'enregistrement faussement brut d'une caméra imaginaire, la vision fugitive du suicide d'un jeune déplacé, les longues conversations passées à refaire le monde, ou les nuits étrangement inquiétantes de manhattan. pour mekas, comme pour tant d'autres déracinés du vingtième siècle, l'histoire est un cauchemar dont il a fallu s'éveiller en dénouant les liens mêmes du temps.
quand ce nouvel ulysse s'approche enfin d'ithaque, les souvenirs le submergent, l'enfance remonte en lui, et une pluie scintillante d'infimes fragments de paradis retombe doucement sur terre.
Avec ce quatrième et dernier volume de La Maison cinéma et le monde s'achève la publication des écrits de Serge Daney jusqu'ici dispensés dans divers journaux ou revues, catalogues ou programmes souvent introuvables aujourd'hui. Après le temps des Cahiers et les années Libé, voici venu, trop bref mais si intense, le moment Trafi c, du nom de la revue qu'il fonde avec quelques amis (Raymond Belloun, Jean-Claude Biette, Sylvie Pierre et Patrice Rollet) en décembre 1991, alors qu'il se sait déjà condamné par la maladie (le sida). Il ne pourra en concevoir que les trois premiers numéros avant sa mort annoncée, le 12 juin 1992.
C'est le moment où, pressé par le compte à rebours de sa propre vie, Serge Daney porte à incandescence son rapport au cinéma et rédige certains de ses plus beaux textes, avec une ambition affi chée d'écrivain et dans le cadre d'une revue dont il a voulu le moindre détail, de l'absence revendiquée d'éditorial à la méfi ance envers les rubriques habituelles de la critique, en passant par le refus de l'illustration pour l'illustration. L'écriture seule a charge d'y décrire le mouvement des fi lms et de nous apprendre comment vivre avec les images.
Mais c'est aussi le moment ultime où, en toute conscience, Serge Daney fait le point sur son existence de ciné-fi ls et de passeur dans les entretiens approfondis qu'il accorde alors à Art Press, à Esprit, aux Inrockuptibles, au Monde ou à 24 images et qui constituent les compléments indispensables à ceux de Persévérance ou d'Itinéraire d'un ciné-fi ls.
Ce troisième volume de La Maison cinéma et le monde poursuit la publication des textes de Serge Daney non recueillis de son vivant, signés de son seul nom et parus, pour l'essentiel, dans le journal Libération, au moment où il devient l'un des responsables du service Culture et de la page Rebonds du quotidien. Il continue d'écrire sur les films qui sortent en salles chaque semaine mais revisite aussi ceux, plus classiques, qu'il passe au crible de la télévision dans sa chronique des " Fantômes du permanent ". Il persévère dans ses voyages et son travail, occasionnel, de grand reporter mais s'engage plus encore dans le décryptage de l'information, de la publicité et des médias.
Si la maison cinéma s'ouvre ici, comme jamais, sur le monde, c'est que de la " Politique des auteurs " Serge Daney a su retenir la politique au moins autant que ses auteurs. Cet art de la mise en scène qu'il a appris des films informe désormais totalement son regard et son écriture critique quel qu'en soit a priori l'objet. En témoignent exemplairement les articles du " Salaire du zappeur " ou les deux séries de textes consacrés à la médiatisation de la révolution roumaine et à celle de la guerre du Golfe.
On trouvera enfin dans ce recueil certaines des mises au point les plus approfondies de Serge Daney sur la Nouvelle Vague et ses suites, sur les relations compliquées du cinéma et de la télévision, sur la photographie et la bande dessinée, et, plus généralement, sur l'opposition de l'image et du visuel.
Tandis qu'est présenté au festival de Cannes dans la sélection " Un certain regard " son nouveau film : Film Socialisme, Jean-Luc Godard en publie les dialogues avec figures d'auteurs.
Ce livre est issu de l'entretien que Serge Daney et Serge Toubiana menèrent ensemble, durant trois jours, en 1991, dans la solitude d'une retraite amicale. Pour Serge Daney, il s'agissait d'envisager enfin sa ciné-biographie, de prendre à bras-le-corps le matériau de sa vie même de ciné-fils et, comme le dit Serge Toubiana, de boucler «sa propre histoire, son itinéraire d'enfant né en 1944 - l'année de Rome ville ouverte et de la découverte des camps - puis d'adolescent et de jeune homme qui, à travers l'amour du cinéma allait écrire sa vie, c'est-à-dire la confondre avec une certaine histoire du cinéma».
Passe Montagne est un des trois films qu'a réalisés l'acteur Jean-François Stévenin, avec Double messieurs et Mischka. Il date de 1978 et il a acquis, au cours des années, le statut de film culte. Cela tient, bien sûr, à la beauté du film lui-même qui raconte la naissance en plein Jura profond d'une amitié tout à fait inattendue entre deux hommes que tout semblait opposer. Mais cela est aussi dû aux conditions invraisemblables d'un tournage d'hiver mouvementé, aux aléas d'une production hasardeuse, à la jeunesse et à l'inexpérience du réalisateur et des amis avec lesquels il s'est lancé dans l'aventure. Parmi eux Yann Dedet, assistant du réalisateur, qui près de quarante plus tard, parce qu'elle est pour lui un moment fondateur de sa vie, a voulu restituer l'atmosphère et les péripéties de cette équipée unique, devenue mythique.
Il nous raconte donc, au moyen d'une langue pleine de verve, les préparatifs du tournage, les attentes interminables des financements, les paysans du Jura qui vont figurer ou jouer dans le film, les problèmes de production, le tournage proprement dit, complètement chaotique, les soirées, les beuveries, les amours.
Le récit de Yann Dedet est interrompu de passionnants souvenirs et réflexions de Jean-François Stévenin lui-même.
La Voix manquante retrace l'apparition fugitive et inoubliable de Marceline Loridan dans Chronique d'un été, film de Jean Rouch et Edgar Morin réalisé à Pari s en 19 60. La Voix manquante raconte le s coulisses d'une image, et fait aussi l'hi stoire de la fabrique d'un personnage. Cet essai s'appuie sur des archives inédite s, associe travail d'écriture et de recherche.
Une histoire écrite par l'écoute, en décryptant le s signaux lancés par une voix depuis des bandes magnétiques oubliées.
Une vingtaine d'heures furent enregistrées en cette année 1960 faussement tranquille. Ces heures témoignent du quotidien par- tagé, bataillé, par l'équipe pendant trois sa ison s. Au final, il ne reste plus dans le film qu'un été: le s raisons de cette disparition ont intrigué Frédérique Berthet. Elle s'est rapprochée de l'écran. A être au plus près de l'image, à tant écouter le s mots tombés dans le si lence des archives, l'auteur a fini par traverser la surface, le s supports, et l'épaisseur du temps, aussi. Pour rejoindre le présent.
L.:hi stoire du temps présent.
Elle a cherché, dans des paysages désormais presque anodins, le s traces fantomatiques du trajet d'une déportée, d'une pe- tite fille en Petit Poucet. Les traces de celle qui, devenue cinéaste, s'est récemment aussi fait (re)connaître par une lettre poignante écrite à son père (Et tu n'es pas revenu, 20 15) - un li vre à succès qui a remis en circulation l'iconographie du film de 1960 et dégelé le s émotions que le cinéma avait d'emblée mises en boîte. Frédérique Berthet a écrit d'entre les li gnes, depuis le manque. Elle est allée chercher la première trace de la voix de « Marceline » pour ravauder, et pour nous tous, ce qui a été déchiré intimement par l'histoire.
Le personnage principal Marceline Loridan-I vens a été actrice, scénariste, preneuse de son, réalisatrice, productrice. Née en 1928, elle est aujourd'hui un témoin engagé dans l'e space soc ial et médiatique. Sur sa déportation à Auschwitz avec son père, elle a tourné à Birkenau, et avec Anouk Aimée, La petite prairie aux bouleaux (2003, prix du Munich Film Fe stiva l) et li vré des ouvrages biographiques Ma vi e balagan (Robert Laffont, 2008) et Et tu n'es pas revenu (Grasset, 2015, prix meilleure biographie Lire 2015).
La toute première de ses créations fut déposée dans l'e xpérience de cinéma-vérité Chronique d'un été (Prix Fipresci Cannes 1960 et sélection officielle Cannes classics 201 1).
La Voix manquante revient donc à la source de l'écriture de l'hi stoire de Marceline Loridan-I vens pour arrimer le particulier de la trajectoire d'un sujet au collectif du temps passé.
Nul besoin aujourd'hui de jouer au Christ pour descendre aux limbes, il suffit d'aller au cinéma, de payer son obole à la caisse d'une salle obscure, d'emprunter l'escalier tortueux qui conduit au sous-sol et de franchir la porte coupe-feu qui débouche sur l'enfer, le purgatoire ou le paradis des images où s'accomplissent nos désirs inavouables.
L'inconscient visuel que la caméra révèle à Benjamin, le cinéma permanent où Breton se laisse détrousser comme dans un bois ou l'espace négatif que creuse souterrainement l'art termite cher à Farber ne sont que d'autres noms de ces limbes, dévoyés autant que sécularisés, de notre temps. Pour s'y rendre, il n'est point de meilleurs guides que les films eux-mêmes, qu'ils relèvent ici du registre de la prose comme plusieurs productions hollywoodiennes de Sjöström, de McCarey, de Tourneur et de Fuller, de celui de la poésie comme quelques oeuvres underground plus libres de Levitt, Loeb et Agee, de Brakhage, de Frank et Leslie, ou de celui, plus inclassable encore, de l'écriture de Biette ou de Straub et Huillet.
Ces Descentes aux limbes forment un diptyque avec Passages à vide dont elles constituent à la fois un prolongement et un cas limite. Là où ceux-ci s'efforçaient de décrire le vide central de l'essieu qui fait tourner la roue des films, celles-là tentent plutôt d'explorer son rayonnement vers la périphérie, aux confins du cinéma, aux abords de la peinture, de la littérature et de la photographie, tels qu'aperçus depuis cette autre rive.
Ce sont des poèmes à la manière de haïkus, des moments de grâce, ou de lucidité, des gestes légers, à peine esquissés, des effleurements, de ces instants où les perceptions et la pensée se mêlent indissolublement, et avec elles les émotions, les sentiments, dans un surcroît de présence. Ils sont fugaces, ils sont subtils. Formellement, ils pèsent peu. Mais ce peu de poids n'est pas un peu d'être.
Les essais réunis dans ce livre ont été écrits entre 1986 et 2016.
Ils ont tous été publiés dans divers volumes collectifs et revues (très largement dans la revue de cinéma Trafic dont Raymond Bellour est un des responsables). Ils concernent uniquement les films, le cinéma, contrairement à ses trois recueils antérieurs (L'Entre-Images. Photo, cinéma, vidéo ; L'Entre- Images 2. Mots, images ; La Querelle des dispositifs. Cinéma - installations, expositions) consacrés aux rapports entre le cinéma et les autres images.
Ces textes sont nés un par un au gré des chocs provoqués par les films et des questions que les films posent au cinéma. D'où s'ensuivent les deux parties qui les rassemblent : « Les films qu'on accompagne » ; « Le cinéma qu'on cherche à ressaisir ».
Accompagner un film, c'est se tenir dans sa compagnie. C'est à dire, sinon toujours le suivre pas à pas, ce qui s'avère de toute façon illusoire, mais au moins en suggérer une sorte d'illusion grâce à la proximité marquée envers tels ou tels de ses instants, tels de ses traits les plus saillants, quels qu'ils soient pourvu que se révèle ainsi la prégnance du détail attestant la réalité de la capture dont le spectateur a été la proie et qu'il essaie de rendre au fil de l'argumentation, de l'évocation qui lui paraît propre à servir le caractère unique, la valeur, le génie du film auquel il a choisi de s'attacher. (Une micro-partie fait exception, dans ce premier volet, l'ensemble consacré aux quatre films de Philippe Grandrieux, réunis pour cette raison en fin de cette première partie).
Le second volet de ce recueil, « Le cinéma qu'on cherche à ressaisir », redouble en un sens ce que l'approche des films singuliers se trouve déjà engager, tant chaque film qui frappe met en jeu le tout du cinéma. Mais un changement d'échelle est ici visé : soit le fragment de film, resserré sur lui-même, ou le choix d'une composante (ainsi les trois brefs essais consacrés à Alfred Hitchock); soit un cinéaste au contraire approché plus ou moins dans son ensemble (ainsi John Ford ou Vincente Minnelli); soit encore un problème, un niveau de réalité qualifiant le cinéma comme tel (les deux derniers us-ensemble de cette seconde partie). Un sous-ensemble est aussi consacré à trois hommages (Serge Daney, Chris Marker, Harun Farocki).
Une nuit, par hasard, Jean-Paul Civeyrac voit à la télévision quelques minutes d'un film inconnu qui font sur lui une impression très forte et durable. Identifiant ce film une dizaine d'années plus tard, et retrouvant à sa vision quelque chose de l'émotion qui s'était emparée de lui la première fois, il eut la conviction qu'en essayant de comprendre quelle pouvait bien être sa nature exacte, peut-être allait-il éclaircir ce qui faisait à ses yeux toute l'importance et la spécificité du cinéma. C'est ainsi qu'est né ce livre : récit détaillé d'une expérience concrète, il tente d'expliciter pourquoi une apparition - celle de Rose Hobart dans une scène de Liliom de Frank Borzage - fut à ce point à la fois bouleversante et éclairante.
C'est une manière littéraire, poétique, d'analyser une oeuvre, un moment d'une oeuvre, et d'en faire comme la pierre de Rosette, une compréhension générale d'un art. C'est une façon inattendue et troublante de pratiquer l'analyse et la critique.