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Mathias Lavin
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Pourquoi au cinéma la neige possède-t-elle ce curieux pouvoir de rester en mémoire jusqu'à se substituer parfois au souvenir du film lui-même ? C'est en partant de cette question que l'ouvrage tente d'explorer quelques modalités de la neige filmée, élément privilégié d'une météorologie du septième art qui n'est pas exactement superposable à celle du monde empirique. À partir d'une vingtaine d'exemples pris dans des époques variées, de Murnau à Hou Hsiao-hsien, de Borzage à Fellini, de Renoir à Resnais, il s'agit de déployer les aspects majeurs du motif retenu qui constitue une modalité du paysage filmique autant qu'un facteur de perturbation interne au plan. En raison de sa blancheur comme de son pouvoir réfléchissant, la neige permet un traitement singulier de la lumière et de la couleur.
Qu'elle couvre ou traverse la surface de l'image, elle participe en outre à un effetécran.
Utilisée pour la mobilité de ses flocons, sur des rythmes changeants, la neige exalte aussi une mobilité qui renvoie directement au principe du cinéma, en tendant parfois vers l'informe et la dissolution de la figure. De la sorte, on constate qu'elle constitue une dimension majeure de la matière même de l'image cinématographique, conduisant à évoquer le lien entre neige et fiction. Un tel parcours montre que la neige est, à la fois, au coeur de la dynamique propre aux images mobiles et qu'elle souligne, de manière sensible, leur aspect insaisissable qui renvoie à leur dimension temporelle.
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Manoel de Oliveira ; l'étrange affaire Angélica
Mathias Lavin
- Reseau Canope
- 1 Octobre 2013
- 9782240034250
C'est à cent ans passés que Manoel de Oliveira a réalisé L'Étrange Affaire Angélica dont il avait rédigé la première version du scénario au milieu du XXe siècle. Cet écart temporel de presque soixante ans marque d'emblée la singularité d'un parcours unique dans l'histoire du cinéma. L'expérience accumulée par le réalisateur, notamment pendant de longues périodes d'inactivité forcée pour des raisons politiques, explique sans nul doute la liberté profonde de son regard sur le monde, qui n'est inféodé à aucune doctrine ni soumis aux modes passagères : ses seules règles lui viennent de la haute idée qu'il se fait de l'art du cinéma.
L'Étrange Affaire Angélica repose sur un scénario d'amour fou s'exprimant au-delà de la mort qui aurait pu ravir les surréalistes. À l'émotion s'ajoute une réflexion enjouée sur les pouvoirs de l'image suscitée par la fascination du photographe - Isaac - pour une jeune femme - Angélica - dont il a réalisé le portrait juste après son décès. Entre le rêve et la réalité, entre le monde actuel et un passé aux contours indéfinis, comme entre la fixité de l'image et le mouvement du cinéma, le film oscille avec audace entre des pôles opposés de manière à engendrer un tonalité fantastique d'une grande originalité. Il constitue en outre un hommage à la simplicité originaire du cinéma dont il cherche à retrouver le mystère afin de le perpétuer de nos jours. De la sorte, il invite son spectateur à se poser la question qui n'a cessé de traverser l'oeuvre du réalisateur portugais : qu'est-ce qu'être le contemporain de son époque ?
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Quelles sont les puissances de la parole filmée ? La parole au cinéma reste trop souvent inaudible, et il faut donc préciser certaines de ses facultés en s'appuyant sur un corpus appartenant à des époques variées, tout en se mettant à l'écoute des films. L'attention portée aux oeuvres permet alors de constituer la parole et la voix comme des éléments déterminants de la figuration filmique pensée dans sa dimension audio-visuelle. La parole concerne également un aspect fondamental et problématique de l'humanité que le cinéma donne, et n'a cessé de donner à entendre. En effet, avec le cinéma, l'homme est non seulement devenu visible, comme l'affirmait Béla Balazs dans les années 1920, il est aussi devenu audible. Dès lors, la perspective esthétique, qui oriente les analyses singulières, est nécessairement enrichie par un questionnement anthropologique et politique qui ne cesse d'interroger l'énigme du corps parlant.
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Cinquante ans après la mort de Yasujirô Ozu, ses films paraissent toujours actuels. Gosses de Tokyo, Printemps tardif, Le Goût du saké continuent de surprendre, d'intriguer, d'inspirer leurs spectateurs. Ce sont les différentes formes de présence du cinéma d'Ozu dans la création et la pensée contemporaines que cet ouvrage tente de découvrir. Il était donc naturel de faire appel à des spécialistes, appartenant à des générations différentes et qui viennent d'horizons proches ou lointains, du Japon aux Etats-Unis en passant par l'Europe, pour arpenter cette voie nouvelle. Avec des approches variées, ces universitaires, critiques et artistes, tous amateurs du cinéaste de Voyage à Tokyo, éclairent la singularité de ses oeuvres et la nature de leur rayonnement. Ils nous invitent à emprunter des chemins de traverse pour dessiner les contours d'un territoire ozuien. Tout d'abord en précisant l'évidence des hommages - rendus par Wim Wenders, Hou Hsiao-Hsien, Pedro Costa, Claire Denis, Abbas Kiarostami, et Victor Erice - qui font écho à la joyeuse sobriété du maître japonais. Puis, des résonances plus imprévues sont proposées du côté de Chantal Akerman, Takeshi Kitano, Terrence Malick, Hong Sang-Soo, Gus Van Sant, Alain Resnais, ou Kiyoshi Kurosawa. L'exigence formelle et la liberté de ton des auteurs cités renouvellent les formes d'expressions chères à Ozu, comme la durée prolongée, le point de vue flottant, la répétition narrative. Encore de nos jours, cette cinématographie reste au coeur de la réflexion sur la modernité artistique, philosophique ou culturelle. Au terme d'un parcours qui relève l'importance actuelle de Yasujirô Ozu, c'est au cinéaste japonais lui-même que reviendra le dernier mot.